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n’est pas la loi, tandis qu’ils ne reconnaissent pas celle qui est éternelle, immuable, et que Dieu lui-même a inscrite dans le cœur de l’homme. Voilà pourquoi il m’est si pénible de me trouver en leur présence, songeait Nekhludov. Je les crains, tout simplement. Et, en effet, ces hommes sont effrayants. Plus terribles que des brigands. Un brigand parfois peut avoir pitié ; eux non. Ils sont rendus inaccessibles à la pitié comme ces remblais à la végétation. Et voilà pourquoi ils sont terribles ! On dit que les Pougatchev, les Razine sont terribles, mais ceux là sont mille fois plus terribles, continuait à penser Nekhludov. Si l’on posait ce problème psychologique : comment faire pour que des hommes de notre temps, des chrétiens, humanitaires ou simplement bons, commettent les crimes les plus atroces sans se reconnaître coupables ? il n’y aurait qu’une solution possible : instituer ce qui précisément existe : des gouverneurs, des directeurs de prison, des officiers, des policiers ; en d’autres termes, premièrement, leur donner la certitude qu’il existe une œuvre appelée service d’État, qui consiste à traiter les hommes comme des choses, sans rapports fraternels, humains ; deuxièmement, faire que par ce même service d’État, ces hommes soient liés de telle façon que la responsabilité des conséquences de leurs actes ne puisse retomber sur un seul individu. En dehors de ces conditions, il ne serait pas possible,