Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Il est arrivé quelque chose à un prisonnier.

Nekhludov descendit de voiture et s’approcha du groupe. Au bord du trottoir, sur les pavés inégaux, gisait, la tête plus basse que les pieds, un prisonnier, pas jeune, la barbe rousse, le visage congestionné, le nez camus, en capote et pantalon gris. Étendu sur le dos, les paumes de ses mains rousselées, à plat sur le sol, il soulevait par saccades sa large poitrine, sanglotait en regardant le ciel de ses yeux fixes, injectés de sang. Un agent de police à la mine soucieuse, un colporteur, un facteur, un commis de magasin, une vieille femme avec une ombrelle, et un gamin aux cheveux tondus, portant un panier vide, faisaient cercle autour de lui.

— Ils sont affaiblis par leur emprisonnement, et ils les font marcher en pleine chaleur ! dit le commis s’adressant à Nekhludov qui s’approchait.

— Probable qu’il va mourir ! gémissait d’une voix plaintive la femme à l’ombrelle.

— Vite déboutonner la chemise ! dit le facteur.

De ses gros doigts inhabiles l’agent de police se mit à dénouer le cordon qui serrait la chemise sur le cou veineux et rouge. Quoique certainement ému et confus, il se crut cependant obligé de s’adresser à la foule :

— Pourquoi êtes-vous rassemblés là ! Allez ! Il fait assez chaud sans vous ! Vous empêchez l’air d’arriver jusqu’ici.