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— Évidemment, il y a eu et il y aura toujours des erreurs judiciaires. Une institution humaine ne peut se prétendre infaillible.

— En outre, la grande majorité des condamnés sont innocents, car, élevés dans certains milieux, ils ne tiennent pas pour criminels les actes qu’ils ont commis.

— Pardon ! Ce n’est pas juste. Tout voleur sait bien que voler c’est mal, que c’est immoral, qu’il ne doit pas voler, objecta Ignace Nikiforovitch, avec ce même sourire calme, suffisant et dédaigneux, qui irritait particulièrement Nekhludov.

— Non, il ne le sait pas ! On lui dit de ne pas voler, mais il voit, il sait, que ses patrons lui volent son travail en retenant sur son salaire ; que le gouvernement, avec tous ses fonctionnaires, le vole sous forme d’impôts.

— Ça c’est de l’anarchisme ! dit Ignace Nikiforovitch définissant ainsi, avec calme, le sens des paroles de son beau-frère.

— Je ne sais pas ce que c’est, mais je dis ce qui est, répartit Nekhludov. Cet homme sait que le gouvernement le vole ; il sait que nous, propriétaires fonciers, l’avons volé depuis longtemps en le privant de la terre qui devrait être propriété commune. Et quand cet homme prend dans nos forêts quelques branches de bois mort, pour allumer son feu, nous le jetons en prison et le traitons de voleur. Mais il sait que ce n’est pas lui le voleur,