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et de l’indifférence des hommes… Je comprends qu’on puisse consacrer sa vie à cette œuvre. J’en aurais fait autant ; mais à chacun sa destinée…

— Seriez-vous mécontente de la vôtre ?

— Moi ? s’écria-t-elle, semblant effarée d’une pareille question, je dois en être satisfaite, et je le suis. Mais il y a une voix qui se réveille.

— Il ne faut pas l’étouffer ; il faut croire à cette voix, dit Nekhludov, tombant dans le piège.

Par la suite, Nekhludov ressentit souvent de la honte au souvenir de cet entretien, de ces paroles de Mariette moins mensongères qu’adaptées pour lui, de ce visage de la jeune femme exprimant une attention attendrie tandis qu’il lui racontait les horreurs des prisons et les impressions éprouvées à la campagne.

Quand la comtesse revint ils causaient, non seulement en vieux amis mais en intimes, seuls à se comprendre parmi la foule qui ne les comprenait pas.

Ils parlaient de l’injustice des puissants, des souffrances des faibles, de la misère du peuple ; mais en réalité, sous le murmure des paroles, leurs yeux ne se quittaient pas et s’interrogeaient : « Peux-tu m’aimer ? » — « Je le puis », répondaient-ils. Et le désir sexuel, revêtant les formes les plus inattendues et les plus captivantes, les attirait l’un vers l’autre.

En partant Mariette lui répéta qu’elle serait tou-