Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol37.djvu/183

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’aventure du nouveau gouverneur de Sibérie, à propos duquel Mariette avait dit quelque si énorme grivoiserie que la comtesse ne parvenait pas à s’arrêter de rire.

— Tu me feras mourir de rire ! s’écriait-elle en toussotant.

Nekhludov salua et s’assit près d’elles. Déjà il songeait à mal juger Mariette pour cette légèreté, mais celle-ci, remarquant l’expression sévère et même un peu mécontente de son visage, aussitôt, pour lui plaire, — désir qui lui était venu dès qu’elle l’avait revu, — modifia non seulement l’expression de son visage mais son état d’esprit. Tout d’un coup elle devint sérieuse, mécontente de sa vie, tourmentée de vagues aspirations, et tout cela avec sincérité : elle s’appropriait réellement cet état moral — bien qu’elle n’eut pu le définir exactement — qui était en ce moment celui de Nekhludov.

Elle s’enquit du résultat de ses démarches. Il raconta son insuccès au Sénat et sa rencontre avec Sélénine.

— Ah ! quelle âme pure ! Le vrai chevalier sans peur et sans reproche !… Quelle âme pure ! s’écrièrent les deux femmes, en usant de l’épithète sous laquelle Sélénine était connu dans la société.

— Comment est sa femme ? demanda Nekhludov.

— Elle ? Je ne voudrais pas la juger ; mais elle ne le comprend pas.