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« Ces terres, je ne dois pas les posséder. Si je ne les possède pas je ne puis avoir soin de toute cette propriété. En outre, je vais partir pour la Sibérie, alors je n’ai besoin ni de maison ni de terres », disait une voix. « Tout cela est vrai, — répondait une autre voix, — mais, premièrement, tu ne vas pas en Sibérie pour le reste de tes jours. Si tu te maries, tu auras peut-être des enfants. Tes propriétés t’ont été léguées en bon état et tu dois les laisser telles. Il est des obligations envers la terre. C’est très facile de céder, de détruire, mais il est très difficile d’édifier. Songe d’abord à l’avenir, à ce que tu feras de ta vie et règle, d’après cela, la question de tes biens. Or ta décision est-elle définitive ? En outre, agis-tu vraiment ainsi pour satisfaire ta conscience, ou pour t’en glorifier devant les hommes ? » Nekhludov se posait cette question et il était forcé de convenir que l’opinion d’autrui entrait pour une part dans sa décision. Et plus il y réfléchissait, plus les questions se présentaient nombreuses et insolubles. Pour s’y soustraire, il se coucha dans le lit frais, et tâcha de dormir, afin de trouver le lendemain, à tête reposée, la solution de ces questions si complexes. Mais il ne pouvait dormir. Les fenêtres entr’ouvertes laissaient pénétrer avec l’air vif de la nuit, les rayons de la lune, le coassement des grenouilles et les trilles des rossignols au fond du parc. L’un d’eux chanta tout près, sous