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— Je faisais partie du jury, et je sais quelle erreur nous avons commise.

Sélénine réfléchit un instant, et dit :

— Il fallait le déclarer aussitôt.

— Je l’ai déclaré.

— On aurait dû l’inscrire au procès-verbal. Si ce motif avait été notifié dans le pourvoi…

— Mais même maintenant, l’incohérence du verdict est évidente.

— Le Sénat n’avait pas le droit de le dire. S’il s’avisait de casser un jugement en se basant sur la façon dont il conçoit la justesse de l’arrêt, non seulement le Sénat perdrait tout point d’appui, mais il risquerait de violer la justice plutôt que de la rétablir, dit Sélénine, songeant à l’affaire précédente ; et les décisions des jurés n’auraient plus de raison d’être.

Je ne sais qu’une chose : que cette femme est innocente et que désormais elle n’a plus d’espoir d’échapper à un châtiment immérité. La justice suprême a confirmé une injustice flagrante.

— Non, elle ne l’a pas confirmée puisqu’elle n’avait pas à juger l’affaire quant au fond ! répliqua Sélénine en clignant des yeux.

Sélénine qui était toujours très occupé et allait peu dans le monde, ignorait évidemment le roman de Nekhludov. Celui-ci s’en aperçut et ne jugea pas utile de le mettre au courant de ses relations particulières avec Maslova.