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Et il n’en doutait pas, en effet ; non pas parce c’était la réalité, mais parce que, dans le cas contraire, au lieu de se considérer comme un brave héros, qui achève dignement une vie exemplaire, il lui eût fallu ne voir en lui qu’un misérable, ayant vendu sa conscience toute sa vie et continuant à la vendre durant sa vieillesse. Le mieux est de servir, continua-t-il, le tzar a besoin d’honnêtes gens, la patrie aussi ajouta-t-il. Qu’adviendrait-il si moi, tous les hommes comme vous, ne servions pas ? Qui resterait alors ? Nous désapprouvons ce qui existe sans vouloir aider le gouvernement.

Nekhludov soupira profondément, s’inclina, serra la grosse main ankylosée du vieillard, qui la lui tendait avec indulgence, et sortit du cabinet.

Le général eut un hochement de tête désapprobateur, se frotta les reins et revint dans le salon où l’attendait le peintre, qui avait déjà noté la réponse de l’âme de Jeanne d’Arc. Le général mit son pince-nez et lut : « se reconnaissent à la lumière qui se dégage de leur corps éthéré… »

— Ah ! fit approbativement le général, en fermant les yeux. Mais si la lumière est la même pour toutes, comment les distinguera-t-on ? demanda-t-il. Et de nouveau entremêlant ses doigts avec ceux du peintre, il se rassit devant la petite table.

Le cocher de Nekhludov franchit la porte de la forteresse.