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ordonna d’appeler le greffier. Pendant qu’on allait prévenir celui-ci, le général conseilla à Nekhludov de servir, faisant remarquer que les hommes honnêtes et honorables, parmi lesquels il se comptait, étaient surtout indispensables au tzar… et à la patrie, ajouta-t-il, évidemment pour la sonorité de la phrase.

— Ainsi moi, qui suis vieux, je sers toujours, autant que mes forces me le permettent.

Le greffier, un homme maigre, aux yeux fureteurs, intelligents, entra et fit savoir que Choustova était détenue dans quelque forteresse et qu’aucun ordre n’était parvenu à son sujet.

— Aussitôt l’ordre reçu, nous les renvoyons, le jour même. Nous ne les retenons pas. Nous ne cherchons pas du tout à prolonger leur visite, dit le général, s’appliquant de nouveau à un sourire malin qui n’aboutit qu’à faire grimacer son vieux visage.

Nekhludov se leva, contenant à grand’peine l’expression de dégoût et de pitié que lui inspirait cet horrible vieillard. Celui-ci crut devoir se montrer indulgent à l’égard du fils dévoyé de son ancien camarade, et le sermonner un peu.

— Adieu, mon cher ! Ne prenez pas en mauvaise part ce que je vous dis, c’est par affection pour vous. Ne vous mêlez pas des affaires des gens détenus chez nous. Il n’y en a pas d’innocents. Tous sont pervertis, et nous les connaissons bien ! dit-il d’un ton qui n’admettait pas le doute.