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quelque requête à lui présenter. Les prisonniers lui en présentaient : il les écoutait sans mot dire, mais jamais n’y donnait suite, car toutes étaient incompatibles avec le règlement.

Au moment où la voiture de Nekhludov s’arrêtait devant le bâtiment où habitait le vieux général, le carillon grêle de l’horloge de la tour fit entendre le chant : « Dieu soit loué ! », puis deux heures sonnèrent. Ces sons rappelèrent soudain à Nekhludov ce qu’il avait lu dans les mémoires des Décembristes de l’impression que fait sur les détenus cette douce musique se répétant d’heure en heure.

Tandis que Nekhludov arrivait devant le perron de la demeure du vieux général, celui-ci était assis dans un salon obscur, en compagnie d’un jeune peintre, frère d’un de ses subordonnés, devant une table en marqueterie, et tous deux faisaient tourner une soucoupe sur une feuille de papier. Les doigts minces, humides et fuselés du peintre s’entremêlaient avec les doigts épais, ridés, bossués par endroits, du vieux général, et leurs mains, ainsi unies, suivaient la soucoupe renversée qui tournait sur une feuille de papier portant inscrites toutes les lettres de l’alphabet. Le général avait demandé comment les âmes se reconnaissent après la mort, et la soucoupe répondait à cette question.

Quand l’ordonnance, qui faisait l’office de valet