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dessous de sa longue taille, s’était assis de côté sur son siège pour causer plus aisément : cela lui était facile, car le cheval de brancard était boiteux et fourbu, et le cheval de volée, maigre et poussif. Ainsi ils pouvaient aller au pas, ce qui comblait leur désir.

Le cocher se mit à parler de l’intendant de Kouzminskoié, ne se doutant pas qu’il s’adressait au propriétaire. Nekhludov le lui avait tu à dessein.

— Un Allemand chic ! — dit le cocher qui avait habité la ville et lu des romans.

À demi tourné vers le voyageur, et désirant évidemment faire parade de son savoir, il reprit, tout en caressant de la main le long manche de son fouet :

— Il s’est payé une voiture avec trois chevaux superbes, et quand il va se promener avec sa femme, il éclipse tout le monde ! Cet hiver, à Noël, il y avait, dans la grande maison, un bel arbre — j’y ai conduit des invités ; — on eût dit des étincelles électriques ; on n’en aurait pas trouvé un pareil dans tout le chef-lieu ! Ah ! il en a volé de l’argent, c’est effrayant ! Et pourquoi pas ? Il a tous les pouvoirs. On dit qu’il vient d’acheter une très bonne terre.

Nekhludov se croyait indifférent à la façon dont l’Allemand administrait son bien et en profitait. Cependant le récit du cocher à la longue taille lui