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sances et surtout lui-même, furent persuadés qu’il était un homme d’État excessivement intelligent. Quand, au bout d’un certain temps, force fut de constater qu’il n’avait rien changé, rien amélioré ; quand d’autres hommes tels que lui, sachant comprendre et rédiger des documents officiels, des fonctionnaires aussi représentatifs que lui, et aussi dénués de principes et de scrupules, l’eurent, suivant les lois de la lutte pour l’existence, supplanté et forcé à se retirer, il devint clair pour tous que non seulement il n’était pas d’une intelligence extraordinaire, mais qu’il était très borné, peu instruit, malgré son assurance, et que, dans ses opinions, il dépassait à peine le niveau des leader articles des journaux conservateurs. On s’aperçut alors que rien ne le distinguait des médiocrités vaniteuses et obtuses qui l’avaient supplanté et lui-même s’en rendait compte, ce qui ne l’empêchait pas de se croire le droit de recevoir un traitement d’année en année plus fort et de nouvelles décorations pour son uniforme de gala. Cette conviction était si ferme en lui que personne n’avait le courage de l’en dissuader, et, chaque année, sous forme de pension de retraite, d’indemnité comme conseiller d’État, président de toutes sortes de commissions ou de comités, il recevait plusieurs dizaines de milliers de roubles ; sans compter qu’il avait chaque année le droit, si apprécié de lui, de faire coudre de nouveaux galons à son