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— Oui, facile ! répondit Maslova en fermant les paupières et hochant la tête. Pire que le bagne !

— Et pourquoi donc ?

— C’est ainsi. De huit heures du soir jusqu’à quatre heures du matin ! Et cela tous les jours !

— Alors, pourquoi ne pas s’en aller ?

— On le voudrait bien, mais c’est impossible… Bah ! assez parlé, fit Maslova, et, se dressant d’un bond, elle jeta la photographie dans le tiroir de la petite table, et, retenant à peine des larmes de rage, elle s’enfuit dans le corridor en faisant claquer la porte. En revoyant cette photographie elle s’était sentie telle qu’elle y était réprésentée ; elle s’était rappelé tout le bonheur qu’elle avait alors et qu’elle pourrait encore partager avec lui ; et voilà que les paroles de sa compagne lui avaient rappelé ce qu’elle était à présent, ce qu’elle avait été « là-bas », et toute l’horreur de cette existence qu’elle avait vaguement ressentie, mais qu’elle n’avait pas voulu s’avouer. Maintenant seulement elle se rappelait toutes ces nuits horribles, en particulier une nuit de carnaval, où elle attendait l’étudiant qui lui avait promis de la sortir de là. Elle se rappela que, vêtue d’une robe de soie rouge très décolletée, tachée de vin, un ruban rouge dans ses cheveux défrisés, harassée, ivre, une fois, à deux heures du matin, après avoir reconduit les visiteurs et avant de se mettre à danser, elle était venue un instant s’asseoir auprès