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baigner dans la petite rivière qui coulait au pied de la colline, puis il revenait quand la rosée couvrait encore l’herbe et les fleurs. Parfois, le matin, après avoir pris du café, il travaillait à sa thèse, ou compulsait des documents s’y rapportant ; mais très souvent, au lieu de lire ou d’écrire, il sortait de nouveau, errant à travers les champs et les forêts. Avant le dîner il faisait un somme dans un coin du jardin ; pendant le repas il amusait et charmait ses tantes par sa gaîté ; ensuite il montait à cheval ou se promenait en barque ; le soir il se mettait à lire, ou bien, au salon, il faisait des réussites avec ses tantes. Comme souvent, surtout par les nuits de lune, il ne pouvait dormir, tant la joie de vivre tenait sa jeunesse en éveil, parfois jusqu’à l’aube, il se promenait dans le jardin, plongé dans ses rêveries et ses pensées.

Telle avait été son existence, paisible et joyeuse, pendant le premier mois de son séjour chez ses tantes ; et durant ce mois il n’avait fait aucune attention à la jeune fille, demi-pupille et demi-femme de chambre, à cette vive et légère Katucha aux yeux noirs.

Elevé sous l’aile maternelle, Nekhludov était encore, à dix-neuf ans, tout à fait innocent. La femme n’évoquait chez lui d’autre idée que celle du mariage. Et toutes celles qu’à son point de vue il ne pouvait souhaiter épouser étaient des personnes et non des femmes. Mais il arriva que ce