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très préoccupé, et il l’était en effet, car il avait la manie de deviner, par différents procédés de hasard, la réponse à des énigmes qu’il se posait lui-même. Cette fois il s’était dit que si, pour faire le trajet de son cabinet à son siège, le nombre de pas se trouvait être divisible par trois, c’est qu’il serait guéri de son catarrhe par son nouveau régime ; sinon, l’effet serait nul.

Il y avait seulement en tout vingt-six pas, mais il fit un petit pas en plus et ainsi, put compter le vingt-septième en arrivant à son siège.

Le président, les deux juges haussés sur l’estrade, dans leurs uniformes au col galonné d’or, offraient un spectacle très imposant. Eux-mêmes en avaient conscience, et, presque confus de leur grandeur, tous trois, les yeux baissés avec modestie, s’empressèrent de s’asseoir sur leurs sièges sculptés, devant la grande table au tapis vert, sur laquelle étaient posés : un objet triangulaire surmonté de l’aigle impériale, des bocaux de verre semblables à ceux qu’on voit, pleins de bonbons, aux devantures des épiciers, un encrier, des plumes, des feuilles de papier blanc, et quantité de crayons, fraîchement taillés. Le substitut du procureur entra derrière les juges. Lui aussi gagna le plus rapidement possible son siège, avec sa serviette sous l’aisselle et en agitant le bras ; aussitôt à sa place, près de la fenêtre, il se plongea dans l’étude de son dossier, n’ayant pas une minute à