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droit : ceci était connu des juges et mieux encore du demandeur et de son avocat ; mais les arguments de ce dernier étaient si péremptoires qu’il était impossible de ne pas dépouiller la vieille dame de ses biens pour les donner à l’homme d’affaires. La vieille était une forte femme en robe pimpante avec d’énormes fleurs à son chapeau. En sortant du couloir, elle s’arrêta, agita ses mains courtes et grasses, en répétant à son avocat : « Qu’adviendra-t-il ? Je vous en supplie. Qu’est-ce donc ? » L’avocat regardait les fleurs du chapeau, n’écoutait pas, réfléchissant, l’esprit ailleurs.

Derrière la vieille dame, sortit rapidement de la salle d’audience, l’air satisfait, faisant bomber son plastron luisant dans la large échancrure de son gilet, l’avocat fameux qui avait su s’arranger de façon à ce que la femme aux fleurs fût si bien spoliée, tandis que l’homme d’affaires, dont il avait reçu dix-mille roubles, en avait obtenu plus de cent mille. Tous les yeux se tournèrent vers l’avocat, qui devant ces regards semblait dire : « Inutile, aucune expression de dévouement » ; puis s’éloigna d’un pas rapide.