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Brevé était le substitut désigné pour soutenir l’accusation à cette audience.

En sortant, le greffier croisa Brevé dans le couloir. La tête en avant, l’uniforme dégrafé, son portefeuille sous l’aisselle, le substitut marchait à grands pas, courant presque, faisant sonner ses talons et lançant ses bras perpendiculairement à la direction de ses pas.

— Mikhail Petrovitch demande si vous êtes prêt ? lui dit le greffier.

— Bien entendu, je suis toujours prêt, répondit le substitut. — Par quelle affaire commence-t-on ?

— L’empoisonnement.

— Parfait, répondit le substitut ; mais, en réalité, il ne trouvait pas du tout cela parfait : il n’avait pas dormi de la nuit. Lui et quelques amis avaient fait la conduite à un de leurs camarades. Ils avaient bu beaucoup, et joué jusqu’à deux heures du matin, puis ils étaient allés voir des femmes dans cette même maison où, six mois auparavant, se trouvait encore Maslova ; de sorte qu’il n’avait même pas eu le temps de lire le dossier de cette affaire d’empoisonnement ; et il voulait maintenant le parcourir. Le greffier, sachant qu’il n’avait pas lu le dossier, avait exprès soufflé au président de commencer par cette affaire. Le greffier était un libéral, voire même un radical. Brevé, au contraire, était conservateur, orthodoxe zélé, en bon fonctionnaire