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effort qu’il faisait pour ne pas céder à la contagion du désespoir de sa mère, son visage prenait une expression de plus en plus méchante. Et la mère, ayant entendu qu’il fallait prendre congé, la tête appuyée sur l’épaule de son fils, fondait en larmes, avec un sifflement du nez. La jeune fille aux yeux de brebis, — Nekhludov l’observait involontairement — debout devant la mère éplorée, ne cessait de lui prodiguer ses consolations. Le vieillard aux lunettes bleues, debout, tenait sa fille par la main en hochant la tête à ce qu’elle lui disait. Les deux amoureux s’étaient levés, et, la main dans la main, ils restaient sans se parler, les yeux dans les yeux.

— Ces deux seuls sont heureux, — dit à Nekhludov, en les lui désignant, un jeune homme en veston, qui s’était arrêté lui aussi et regardait cette scène.

Sentant les regards de Nekhludov et du jeune homme posés sur eux, les amoureux — le jeune homme en veston de caoutchouc et la jeune fille blonde, — allongèrent leurs bras unis, et, le buste renversé en arrière, en riant, se mirent à tournoyer.

— Ils se marient ce soir ici, dans la prison, et elle le suit en Sibérie, dit le jeune homme.

— Qui est-il ?

— Condamné aux travaux forcés. Il sont gais, eux, du moins, mais ceci est trop affreux, à entendre, — continua le jeune homme, écoutant les sanglots de la mère du phtisique.