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Justement, sur la table, dans le courrier, il y avait une lettre du mari de cette femme. En reconnaissant l’écriture et le cachet, il rougit et éprouva aussitôt cette poussée d’énergie qu’il ressentait toujours à l’approche d’un danger. Mais son émotion était vaine : le mari, maréchal de la noblesse du district où se trouvaient les principaux domaines de Nekhludov, écrivait au prince pour l’informer qu’une session extraordinaire du conseil du zemstvo devait s’ouvrir fin mai, et il le priait de venir y assister, sans faute, afin de lui donner un coup d’épaule ; on devait, en effet, y délibérer sur deux questions de haute importance : celle des écoles et celle des chemins vicinaux, qui soulèveraient, de la part des réactionnaires, une violente opposition.

Ce maréchal de la noblesse, un libéral, luttait, avec l’appui de quelques autres libéraux de même nuance, contre la réaction qui s’était produite sous le règne d’Alexandre III, et, tout entier à cette lutte, il ne savait rien de ses infortunes domestiques.

Nekhludov repassa dans sa mémoire les moments pénibles qu’il avait vécus en songeant à cet homme : il se rappela qu’une fois, il avait pensé que le mari savait tout, et s’était préparé à se battre en duel avec lui, bien que fermement résolu à tirer en l’air ; puis une scène terrible avec sa maîtresse, celle-ci dans un accès de désespoir courant pour