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fut sorti de la cellule pour aller dans le corridor, donner des ordres, il s’enhardit tout à fait. Son langage, ses manières étaient d’un brave et simple paysan, et Nekhludov éprouvait une singulière impression à le voir en tenue de prisonnier, dans cette noire cellule. Nekhludov, tout en l’écoutant, examinait la couchette basse avec sa paillasse, la fenêtre lourdement grillée de fer, les murs sales et humides, et le visage misérable, le corps amaigri de ce malheureux paysan, si étrange dans ses chaussons et son vêtement de prison ; et il devenait de plus en plus triste, n’osant croire à la véracité de ce que lui racontait ce bon gars, tant l’horrifiait cette pensée qu’on avait pu, sans motif, s’emparer d’un homme, et le vêtir en prisonnier et l’enfermer en ce lieu sinistre. Mais, d’un autre côté, il lui était encore plus terrible de songer que ce récit, fait avec cette figure franche, put être une invention et un mensonge. Le prisonnier racontait que peu de temps après son mariage, le cabaretier de son village lui avait ravi sa femme. Il avait partout réclamé justice. Mais partout le cabaretier avait soudoyé les autorités et s’était retiré indemne. Un jour, de force, il avait ramené sa femme chez lui, mais elle s’était enfuie le lendemain. Alors il était allé la réclamer au cabaretier, celui-ci lui avait répondu qu’elle n’était pas chez lui (et il l’y avait vue entrer) et lui avait ordonné de sortir. Il était resté. Alors, avec l’aide d’un ouvrier, son rival