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un village perdu du gouvernement de Novgorod à une époque où Nekhludov y était venu avec des amis pour chasser l’ours. Elle avait demandé à Nekhludov de lui donner de l’argent afin de pouvoir aller étudier à l’Université. Nekhludov lui avait donné cet argent, et depuis il l’avait complètement oubliée. Et voilà que maintenant détenue politique, elle était en prison, et ayant sans doute appris son histoire, lui proposait ses services.

Comme tout était simple et facile alors. Et comme tout maintenant était compliqué et pénible. Nekhludov se rappela avec joie le jour où il avait rencontré Véra Bogodoukhovskaia. C’était la veille du carnaval, dans un village perdu, à soixante verstes du chemin de fer. La chasse avait été heureuse ; on avait tué deux ours, dîné, et au moment de repartir, le patron de l’izba dans laquelle ils s’étaient arrêtés, était venu dire que la fille du diacre demandait à parler au prince Nekhludov.

— Jolie ? — avait demandé quelqu’un.

— Pas de bêtises, — avait répondu Nekhludov. Puis, avec une mine sérieuse, il s’était levé de table, s’était essuyé la bouche et était sorti, ne s’imaginant pas ce que pouvait bien lui vouloir une fille de diacre.

Vêtue d’une légère pelisse et coiffée d’un chapeau de feutre, une jeune fille musculeuse, au visage maigre et laid, où seuls les yeux, aux