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vie qui s’exhalait de sa bouche, et il comprit la cause de son excitation.

— Calmez-vous, dit-il.

— Je n’ai pas besoin de me calmer, tu crois que je suis ivre ? Eh bien oui, je suis ivre, mais je sais ce que je dis ! — répliqua-t-elle tout d’un trait, et le sang lui monta au visage. — Moi je suis une galérienne, une garce, et toi un seigneur, un prince ; tu n’as pas à te commettre avec moi. Va-t’en rejoindre tes princesses : quant à moi, mon prix est dix roubles.

— Si cruelles que soient tes paroles, elles ne sont rien auprès de ce que je ressens moi-même, — murmura Nekhludov tout tremblant. — Tu ne peux te figurer combien j’ai conscience de ma faute envers toi…

— Conscience de ta faute… — reprit-elle méchamment. — Tu n’en avais guère conscience, quand tu m’as glissé les cent roubles… C’était le prix que tu m’estimais…

— Je sais, je sais, mais que faire à présent ? — dit Nekhludov. — Je me suis juré de ne pas t’abandonner. Je l’ai dit et je le ferai.

— Et moi je te dis que tu ne le feras pas, — s’écria-t-elle avec un rire bruyant.

— Katucha ! prononça-t-il, en lui prenant la main.

— Va-t’en. Je suis une galérienne, toi un prince, tu n’as rien à faire ici, — s’écria-t-elle toute défi-