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vie intérieure se trouvait en ce moment comme placée sur une balance, et que le moindre poids, le moindre effort, la ferait pencher d’un côté ou de l’autre. Il fit cet effort après avoir appelé à son aide ce Dieu dont il avait, la veille, senti la présence dans son cœur ; et ce Dieu se manifesta en lui. Il résolut de tout lui dire, sur le champ.

— Katucha ! Je suis venu vers toi pour implorer ton pardon et tu ne m’as pas répondu ; tu ne m’as pas dit si tu m’as pardonné ou me pardonneras jamais, dit-il, se mettant à la tutoyer.

Elle ne l’écoutait pas et continuait à épier tour à tour la main et le sous-directeur. Au moment où celui-ci se retournait, elle étendit la main d’un geste rapide, saisit le billet, et le cacha dans sa ceinture.

— C’est étrange, ce que vous me dites, — dit-elle avec un sourire qui lui parut méprisant.

Nekhludov sentait en elle une sorte de haine pour lui, l’empêchant de pénétrer dans son cœur.

Mais, chose étrange, non seulement cette impression ne le détournait pas d’elle, au contraire, elle l’attirait encore davantage avec une force nouvelle, particulière. Il se sentait le devoir de réveiller cette âme, coûte que coûte ; et plus la tâche lui semblait difficile, plus elle l’attirait. Jamais il n’avait éprouvé, ni pour elle ni pour personne, un sentiment semblable à celui qu’il éprouvait maintenant pour elle, et dans ce sentiment il n’y avait rien de personnel :