Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

criait et riait aux éclats. Puis, assise par terre, une jeune femme convenablement mise, tenant un enfant sur les bras, pleurait et sanglotait en revoyant, sans doute pour la première fois, un homme âgé, en veste de prison, la tête rasée, et les fers aux pieds, qui se tenait en face d’elle, de l’autre côté de la grille. Derrière cette femme, le portier qui avait parlé à Nekhludov élevait la voix très haut pour être entendu d’un prisonnier chauve, aux yeux brillants.

Quand Nekhludov comprit qu’il devrait parler dans de telles conditions, il fut saisi d’indignation contre les hommes qui avaient pu inventer cela et le réaliser. Il fut stupéfait, en songeant que jamais personne ne s’était indigné d’une raillerie aussi cruelle des sentiments les plus sacrés. Les soldats, les surveillants, les visiteurs, les prisonniers acceptaient, comme chose naturelle et inévitable, cette façon de s’entretenir.

Nekhludov demeura dans cette salle, pendant cinq minutes, opprimé par une étrange impression d’angoisse, ayant conscience de sa propre faiblesse et de son désaccord avec tout ce qui l’entourait. Il ressentit un haut-le-cœur moral, comme un accès de mal de mer.