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supérieure, et le tzar lui-même, y croient. En outre, ils sentaient vaguement, sans pouvoir l’expliquer, que cette croyance justifiait leurs fonctions cruelles. Sans cette religion, il leur eût été difficile, impossible même, d’employer leurs efforts à martyriser les hommes, en pleine sérénité de conscience, comme ils le faisaient à présent. Le directeur de la prison était un homme foncièrement bon, et il n’eût pu vivre de cette façon s’il n’eût trouvé un appui dans cette religion. Et il était demeuré immobile et impassible, il avait fait force saluts et signes de croix, il avait cherché à s’attendrir quand on avait chanté les « Chérubins », et, quand avait commencé la communion des enfants, il s’était avancé pour soulever lui-même un gamin qui communiait et l’avait soutenu dans ses bras.

Quant aux prisonniers, sauf quelques-uns qui voyaient clairement toute la supercherie et qui, dans leur for intérieur, raillaient cette religion, la majorité croyait que ces icônes dorées, ces cierges, ces coupes, ces chasubles, ces croix, ces litanies incompréhensibles : « Jésus le plus doux », « miserere », recélaient une foi mystérieuse quelconque, grâce à laquelle on pouvait acquérir de grands biens dans cette vie et dans la vie future. Bien que la plupart eussent, à plusieurs reprises et en vain, expérimenté cette obtention des biens terrestres au moyen des prières, des messes, des cierges, et que leurs prières n’eussent point été