Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étendait devant le poêle les torchons qui servaient de langes à son nouveau-né, et l’enfant, dans les bras de Fedosia aux yeux bleus, qui le berçait et tâchait de sa voix douce de l’endormir, criait désespérément. La poitrinaire, le visage tout injecté de sang, se tenant la poitrine à deux mains, toussait sa quinte du matin, et, dans les intervalles de répit, exhalait de profonds soupirs, presque des cris. La rousse, étendue sur le dos, étalait sur son lit ses grosses jambes, et à voix haute et joyeuse racontait son rêve. La vieille incendiaire, debout devant l’icône, marmottait sans trêve les mêmes paroles, faisait des signes de croix et des salutations. La fille du sacristain, assise immobile sur son lit, fixait devant elle ses grands yeux épuisés d’insomnie. La Belle papillotait sur ses doigts ses cheveux noirs graisseux. De lourds pas retentirent dans le corridor, et la porte livra passage à deux prisonniers de mine grincheuse et rébarbative, vêtus de vestes et de pantalons gris relevés jusqu’au-dessus de la cheville. Ils soulevèrent le cuveau empesté et l’emportèrent. Une à une les femmes sortirent dans le couloir pour aller se laver au robinet. En attendant son tour, la rousse eut une altercation avec une autre femme sortie d’une salle voisine. De nouveau des injures, des cris et des plaintes…

— Vous tenez donc bien à aller au cachot, — s’écria le surveillant qui, s’approchant de la rousse,