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avait peine à la suivre : — votre châle est tombé !

Katucha s’arrêta, saisit à deux mains sa tête rejetée en arrière et éclata en sanglots.

— Parti ! s’écria t-elle.

« Lui, dans ce wagon bien éclairé, dans un fauteuil de velours s’amuse et boit, — se disait-elle — et moi je suis seule ici, dans la boue, dans les ténèbres, sous la pluie et le vent, et je pleure ». Elle s’était assise sur le sol et éclatait en sanglots si violents que la fillette effrayée l’enlaçait de sa robe mouillée.

— Petite tante, allons à la maison !

« Un train va passer… me jeter dessous et tout sera fini » — pensait Katucha, sans répondre à la fillette.

Elle allait mettre ce projet à exécution. Mais comme il arrive toujours en un moment d’accalmie succédant à une vive émotion, son enfant à lui, l’enfant qui était en elle, avait tressailli soudain, heurtant aux parois de son ventre, s’étirant doucement, lui donnant la sensation de quelque chose de menu, de tendre et de lancinant. Aussitôt tout ce qui la tourmentait tellement que la vie même lui paraissait impossible, toute sa haine pour Nekhludov, son désir de se venger de lui, même par le suicide, tout cela s’évanouit instantanément. Elle s’était calmée, s’était levée, avait remis son châle sur sa tête et s’en était allée.