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Sachant que Nekhludov devait passer près de leur propriété, les tantes l’avaient prié de s’arrêter chez elles ; mais il avait télégraphié qu’il ne pourrait le faire, étant obligé de regagner au plus vite Pétersbourg. Quand Katucha apprit cela, elle résolut d’aller le voir passer à la gare. Le train la traversait de nuit, à deux heures. Après avoir aidé les demoiselles à se mettre au lit, Katucha avait chaussé de vieux souliers, s’était couvert la tête d’un châle, et avait couru à la gare en compagnie de Machka, la petite fille de la cuisinière.

C’était une nuit d’automne, noire, avec de la pluie et du vent. La pluie tantôt tombait en gouttes serrées, tièdes, tantôt cessait. À travers les champs, on ne pouvait distinguer le sentier ; devant soi et dans la forêt il faisait noir comme dans un four. Katucha, malgré qu’elle connût très bien le chemin, avait failli s’égarer, et était arrivée à la petite station où le train n’avait qu’un arrêt de trois minutes, quand le second signal de la cloche avait déjà été donné. S’élançant sur le quai, Katucha l’aperçut aussitôt par la fenêtre du wagon de première classe. Ce wagon était vivement éclairé. Installés face à face sur les banquettes de velours, deux officiers jouaient aux cartes. Sur la petite table, près de la fenêtre, brûlaient deux grosses bougies. Lui, en pantalon collant et bras de chemise, se tenait assis sur le bras du fauteuil, appuyé au dossier, et riait. Dès qu’elle l’avait aperçu, elle