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Alors elle revint chez sa tante. Quand celle-ci vit qu’elle était vêtue d’une robe à la mode, d’un manteau, d’un beau chapeau, elle la reçut avec déférence, et n’osa plus lui proposer de la prendre dans sa blanchisserie ; à ses yeux elle appartenait maintenant à une classe supérieure dans la société. Au surplus, pour Maslova elle-même, la question d’être ou non blanchisseuse, ne pouvait plus se poser. Elle regardait avec pitié la vie de galériennes menée dans l’atelier par les blanchisseuses, pâles, les bras maigres, quelques-unes déjà rongées par la tuberculose, épuisées par le lavage et le repassage, soumises à trente degrés de chaleur, avec la fenêtre ouverte l’hiver comme l’été, et elle était horrifiée à la pensée qu’elle pourrait se trouver dans un tel bagne. À cette époque particulièrement malheureuse pour elle, dans l’impossibilité de trouver un seul protecteur, Maslova fit la rencontre d’une entremetteuse chargée de racoler les filles pour les maisons de tolérance.

Depuis longtemps déjà, Maslova fumait, et, vers la fin de sa liaison avec le commis, elle s’était mise à boire, et elle continua après qu’il l’eût abandonnée. Le vin l’attirait ; non seulement parce qu’elle le trouvait agréable au goût, mais surtout parce qu’il lui permettait d’oublier toutes les misères du passé et lui donnait la hardiesse et l’estime de soi qu’elle n’avait pas autrement. À jeun, elle éprouvait de l’ennui et le sentiment de sa honte. L’en-