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pour passer dans la salle d’audience. Le marchand était aussi joyeux que la veille, et, comme la veille, il avait mangé et bu ; il accueillit Nekhludov en vieil ami. Pierre Guerassimovitch, de son côté, ne produisit pas sur Nekhludov, par sa familiarité et son rire, la même impression désagréable.

Nekhludov désirait faire connaître à tous les jurés ses relations avec la femme condamnée la veille. « À vrai dire, j’aurais dû me lever hier, en pleine séance, et avouer publiquement ma faute », songeait-il. Mais, en rentrant dans la salle d’audience, quand il vit se renouveler la procédure de la veille, et de nouveau l’annonce de « la Cour », de nouveau les trois juges au col brodé, réapparus sur l’estrade, de nouveau le silence, l’appel des jurés, les gendarmes, le vieux pope, il comprit que la veille il n’aurait jamais eu le courage de troubler cet imposant appareil.

Les préparatifs du jugement furent les mêmes que la veille (sauf la suppression du serment des jurés et l’allocution du président à leur adresse).

On jugeait ce jour-là un vol avec effraction. L’accusé, gardé par deux gendarmes, sabre au clair, était un garçon de vingt ans, aux épaules étroites, maigre, de visage exsangue, et vêtu d’une capote grise. Il était assis seul sur le banc des accusés, et jetait un regard en-dessous sur ceux qui entraient. Avec un camarade, ce garçon avait forcé la porte d’un hangar et s’était emparé d’un