Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/251

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avait un air si gravement respectueux, qu’il n’osa pas le faire.

En se rendant au Palais de Justice, dans la même voiture et par les mêmes rues que la veille, Nekhludov s’étonnait du changement survenu en lui depuis hier : il se sentait un tout autre homme. Son mariage avec Missy, qu’il croyait si proche le jour précédent, lui apparaissait maintenant absolument impossible. La veille, il était persuadé qu’elle serait heureuse de l’épouser ; aujourd’hui, non seulement il se jugeait indigne de l’épouser, mais même de la fréquenter. « Si elle me connaissait tel que je suis, elle ne me recevrait pour rien au monde. Et moi qui étais assez inconscient pour lui reprocher ses coquetteries avec ce monsieur ! Oui, et même uni à elle, pourrais-je avoir un seul instant de bonheur, ou même de repos, sachant que l’autre est en prison et demain, après-demain, s’en ira au bagne par étapes. Cette femme que j’ai perdue irait au bagne, tandis que moi, je recevrais des félicitations et ferais des visites avec ma jeune femme. Ou bien, siégeant à l’assemblée, à côté du maréchal de la noblesse, que j’ai indignement trompé, je compterais les votes pour ou contre le nouveau règlement de l’inspection des écoles, etc., et ensuite fixerais un rendez-vous à sa femme (quel dégoût !), ou bien encore, je continuerais ce tableau que je n’achèverai jamais, car je n’ai pas à m’occuper de ces puérilités ; non, désor-