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après le départ des surveillants, s’était relevée pour reprendre sa marche.

Maslova aussi ne dormait pas, ne cessant de penser qu’elle était à présent une vermine de bagne, comme deux fois déjà on l’avait appelée : Botchkova d’abord, puis la femme rousse, et elle ne pouvait se faire à cette pensée. Korableva qui était couchée le dos tourné vers elle, se retourna.

— Moi qui n’avais jamais pensé… — disait tout bas Maslova. — Les autres font n’importe quoi, et ça passe, et moi, pour rien, je dois souffrir.

— Ne te tourmente pas, ma fille : on vit aussi en Sibérie, tu n’y mourras pas ! remarqua Korableva pour la consoler.

— Je n’y mourrai pas, je le sais bien ; mais il y a la honte. Était-ce là le sort qui m’attendait, moi qui étais habituée à une bonne vie.

— Contre Dieu personne ne peut aller, objecta Korableva en soupirant. Contre Lui, personne ne peut aller.

— Je sais, petite tante, mais c’est dur tout de même.

Elles se turent.

— Écoutez c’est cette pleurnicheuse, dit Korableva en faisant remarquer à Maslova un bruit étrange venu de l’autre bout de la salle.

Ce son, c’étaient les sanglots contenus de la femme rousse. La rousse pleurait parce qu’on l’avait insultée, battue, parce qu’on lui avait refusé