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— Eh bien, pourquoi a-t-on été si sévère ? — demanda-t-elle en s’asseyant à côté de Maslova, et sans cesser de tricoter vivement son bas.

— Ils l’ont condamnée sévèrement parce qu’elle n’avait pas d’argent. Si elle en avait eu, elle aurait payé un avocat rusé, un malin, qui l’aurait fait acquitter, — repartit Korableva. — Il y en a un, j’ai oublié son nom, un chevelu, avec un gros nez : celui-là, ma chère, vous sortirait toute sèche du fond de l’eau. Il fallait le prendre celui-là !

— Ah, oui, le prendre, dit la Belle en montrant ses dents ; celui-là ne demanderait pas moins de mille roubles pour un crachat.

— C’est probablement ton étoile, — opina la bonne vieille condamnée pour incendie. — Ainsi moi, mon vieux a pris la femme de mon fils, et l’a fait mettre sous les verrous, pour nourrir les poux, et moi aussi il m’a fait enfermer pour mes vieux jours, continua-t-elle, recommençant pour la centième fois son histoire. — Pas moyen d’éviter la prison, ni la besace. Si ce n’est l’une c’est l’autre.

— Évidemment chez eux c’est toujours comme ça, — dit la cabaretière ; et, tout à coup, regardant la tête de sa fillette, elle posa son tricot, prit l’enfant entre ses genoux et, avec une grande dextérité, se mit à lui chercher dans les cheveux.

« Pourquoi as-tu fait commerce d’eau-de-vie ? »

— Et avec quoi aurais-je nourri mon enfant ?