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La troisième femme qui cousait était Fédosia ou Fenitchka, comme l’appelaient ses compagnes, — jeune encore, toute blanche et rose, avec des yeux clairs d’enfants, et autour de sa petite tête, deux nattes blondes enroulées. Elle était incarcérée pour tentative d’empoisonnement contre son mari. Elle avait tenté de l’empoisonner aussitôt après le mariage, et avait alors à peine seize ans. Mais, pendant ses huit mois de prévention libre, non seulement elle s’était réconciliée avec son mari, mieux encore, elle en était devenue amoureuse et au moment de son jugement elle lui appartenait corps et âme. Ce qui n’avait pas empêché le tribunal de la condamner aux travaux forcés, en Sibérie, malgré les supplications de son mari, de son beau-père, et surtout de sa belle-mère, pris pour elle d’une vraie tendresse et qui avaient fait tous leurs efforts pour la faire acquitter. Bonne, gaie, souvent souriante, Fédosia était voisine de lit de Maslova à qui elle s’était vite attachée et qu’elle comblait de prévenances et d’égards. Près de là, sur un lit, deux autres femmes étaient assises sans rien faire : l’une, de quarante ans environ, au visage tiré et pâle, qui avait dû jadis être très belle, maintenant maigre et flétrie, allaitait un enfant. Voici quel avait été son crime : Une fois que, de leur village, on emmenait un conscrit, recruté illégalement, au point de vue des paysans, le peuple avait arrêté les gendarmes qui