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elle restait étendue, les yeux grands ouverts, la tête appuyée sur sa capote ; un jet de salive montait à ses lèvres, pour ne pas tousser, elle le retenait par un effort dans sa gorge. Parmi les autres femmes, — vêtues pour la plupart d’une seule chemise de grosse toile, et toutes, têtes nues, — les unes cousaient, assises sur leurs planches ; les autres, debout aux fenêtres, regardaient passer les prisonniers dans la cour. L’une des trois femmes qui cousaient était la vieille Korableva, qui le matin avait parlé à Maslova ; elle était grande et forte, avait une mine renfrognée, d’épais sourcils froncés, des bajoues qui lui retombaient sous le menton, des cheveux rares, d’un blond fané, grisonnant aux tempes, et une verrue poilue sur la joue. Cette vieille avait été condamnée au bagne pour avoir tué son mari à coups de hache. Et elle l’avait tué parce qu’elle l’avait surpris en train de débaucher sa fille. Korableva, doyenne de salle, y faisait le commerce du vin. Pour l’instant, elle cousait munie de lunettes, ses grandes mains ouvrières tenant l’aiguille à la manière des paysannes, c’est-à-dire avec trois doigts, et la pointe tournée vers elle. Cousant également, se tenait une petite femme brune très bavarde, au nez camus, avec des petits yeux noirs, un air bonasse. Garde-barrière du chemin de fer, elle avait été condamnée à trois mois de prison pour avoir causé un accident en oubliant d’agiter son drapeau au passage d’un train.