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priant d’aller lui acheter deux pains blancs et des cigarettes.

Le Tchouvache s’était mis à rire, avait pris l’argent et dit : « C’est bon, on va t’en acheter. » Et, en effet, il était allé acheter les pains et les cigarettes et lui avait remis la monnaie. Mais on ne pouvait fumer en route, aussi Maslova était-elle parvenue jusqu’à la prison sans avoir pu satisfaire son envie de fumer. Comme elle y arrivait, on y amenait un convoi d’une centaine de prisonniers, venant de la gare. Elle les croisa au passage.

Il y en avait des vieux et des jeunes, barbus et rasés, Russes et d’autres races ; certains avaient la moitié de la tête rasée et portaient des fers aux pieds ; ils remplissaient le vestibule de poussière, du bruit de leurs pas et de leurs conversations, et d’une odeur acre de sueur. Tous, en passant près de Maslova, l’avaient reluquée ; quelques-uns s’étaient approchés d’elle pour l’agacer.

— Eh ! la belle fille, — avait dit l’un.

— Mes hommages à la petite tante, avait dit un autre en clignant des yeux.

L’un d’eux, un brun, tête rasée, moustachu, en faisant retentir ses fers, s’était approché d’elle pour la prendre à bras-le-corps.

— Tu n’as donc pas reconnu ton petit ami ? Allons, ne fais pas de manières ! — lui dit-il en montrant ses dents, et les yeux allumés, quand elle l’eût repoussé.