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nomies calmes des juges et des jurés, qui acceptaient cela comme quelque chose de tout naturel, elle se révolta et cria à toute la salle son innocence. Son cri ayant été accueilli, lui aussi, comme une chose naturelle, prévue, ne pouvant être d’aucun effet sur sa situation, alors elle avait fondu en larmes, résignée à supporter juqu’au bout l’étrange et cruelle injustice dont elle était victime. La chose qui surtout l’étonnait, c’était que cette dure sentence lui fût infligée par des hommes, des hommes dans la force de l’âge, non pas des vieillards, par ceux-là même qui la regardaient toujours avec complaisance. Le substitut était le seul qu’elle voyait sous un autre aspect. Dans la salle des prévenus, en attendant le commencement de l’audience, puis, pendant les suspensions, elle avait vu ces hommes, sous prétexte qu’ils avaient affaire là, passer devant la porte de la pièce où elle se trouvait, y entrer, uniquement pour avoir l’occasion de la regarder. Et tout à coup, ces mêmes hommes l’avaient condamnée au bagne, bien qu’innocente du crime dont on l’accusait. Elle avait pleuré, s’était calmée, et, dans un état d’abrutissement complet, elle était assise dans la salle des prévenus, attendant son transfert à la prison. Maintenant elle ne voulait qu’une chose : fumer. C’est dans cet état que l’avaient trouvée Botchkova et Kartinkine, ramenés eux aussi, après l’arrêt, dans la même salle. Aussitôt Botchkova s’était