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L’enfant ayant grandi sous ces deux influences, il s’en suivit qu’elle se trouva être à demi une femme de chambre et à demi une demoiselle. Aussi lui donnait-on un nom intermédiaire, ni Katka, ni Katenka, mais Katucha[1]. Elle cousait, rangeait les chambres, nettoyait les icônes à la craie, faisait la cuisine, moulait et servait le café, faisait les savonnages et, de temps en temps, restait avec les demoiselles et leur faisait la lecture.

Plusieurs fois on l’avait demandée en mariage, mais elle avait toujours refusé : elle sentait que la vie avec un de ces hommes de labeur qui la demandaient en mariage lui serait pénible, gâtée comme elle l’était par la douceur de la vie des maîtres.

Elle vécut ainsi jusqu’à l’âge de seize ans. À cette époque était venu, chez les demoiselles, un de leur neveu, étudiant, un riche prince, et Katucha l’avait aimé sans oser l’avouer ni à lui ni à elle-même. Deux ans plus tard, ce même neveu, en route pour la guerre, s’arrêta pendant quatre jours chez ses tantes ; la veille de son départ il séduisit Katucha et, le dernier jour, il lui glissa rapidement un billet de cent roubles ; puis il partit. Cinq mois après son départ, la jeune fille ne pouvait plus douter qu’elle était enceinte.

À dater de ce moment, tout lui pesa, et elle n’eut plus qu’une pensée : trouver le moyen de

  1. Trois diminutifs du nom de Catherine.