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Et, tout-à-coup, il comprit que l’aversion qu’il ressentait depuis quelque temps envers les hommes et surtout aujourd’hui envers le vieux prince, envers Sophie Vassilievna, Missy, Korneï, n’était que de l’aversion contre soi-même. Et, chose étrange, cet aveu de sa turpitude, bien que pénible, contenait en même temps quelque chose de calmant et de consolant.

À plusieurs reprises, dans le cours de son existence, Nekhludov avait procédé déjà à ce qu’il nommait des « nettoyages d’âme » : il appelait ainsi un certain état dans lequel, parfois après un long intervalle de temps, ayant constaté tout d’un coup le ralentissement ou parfois même l’arrêt de sa vie intérieure, il se mettait à balayer toutes les souillures qui s’étaient accumulées dans son âme et étaient cause de cet arrêt.

Toujours, après de tels réveils, Nekhludov s’imposait des règles qu’il se jurait de suivre. Il écrivait un journal, recommençait une nouvelle vie, qu’il espérait déjà ne jamais changer, turning a new leaf, comme il le disait. Mais à chaque fois les séductions du monde l’avaient reconquis et, sans le remarquer, il était retombé au même point, sinon plus bas qu’avant.

Il s’était nettoyé, et réveillé ainsi, plusieurs fois : la première fois quand il avait passé les vacances chez ses tantes. Ce réveil avait été le plus vif et le plus enthousiaste. Ses suites avaient duré assez