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« Elle n’a rien à me jouer. À quoi bon ces mensonges », pensa Nekhludov en se levant et en serrant la main transparente, osseuse et chargée de bagues de Sophie Vassilievna.

Il rencontra dans le salon Catherine Alexéïevna qui l’arrêta au passage :

— Je vois quand même que les fonctions de juré vous dépriment fort, — lui dit-elle, en français, suivant sa coutume.

— Oui, excusez-moi, je ne me sens pas en train, et je n’ai pas le droit d’imposer mon ennui aux autres, — répondit Nekhludov.

— Et pourquoi n’êtes-vous pas en train ?

— Permettez-moi de ne pas vous le dire, — dit-il en cherchant son chapeau.

— Vous oubliez que vous-même avez affirmé qu’il faut toujours dire la vérité, et même que vous en avez profité pour nous en dire de dures à tous. Pourquoi, aujourd’hui, ne voulez-vous pas dire la vérité ? Tu t’en souviens, Missy ? — ajouta Catherine Alexéïevna, se tournant vers Missy qui venait d’entrer.

— Alors, c’était un jeu, — répondit gravement Nekhludov. — Au jeu tout est permis. Mais dans la vie réelle nous sommes si mauvais… c’est-à-dire, je suis si mauvais… que moi, au moins, je n’ai pas le droit de dire la vérité.

— Ne vous reprenez pas ; dites plutôt que nous tous sommes mauvais, répartit Catherine