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« Eh ! le diable sait ce qu’il te faut, doit-il penser », se dit Nekhludov en observant cette scène. Mais le beau et robuste Philippe réprima aussitôt son mouvement d’impatience et se mit en devoir d’exécuter les ordres de l’indolente, faible et toute falsifiée princesse Sophie Vassilievna.

— Il y a certainement beaucoup de vrai dans la théorie de Darwin, mais parfois il va trop loin, — reprit Kolossov en s’agitant sur son fauteuil et regardant la princesse de ses yeux somnolents.

— Et vous, croyez-vous à l’hérédité ? — demanda Sophie Vassilievna à Nekhludov, dont le silence lui pesait.

— L’hérédité ? — interrogea Nekhludov ; — non, je n’y crois pas, — répondit-il, sans se détacher des visions étranges qui hantaient son imagination.

Il se représentait, posant à côté du robuste, du beau Philippe, Kolossov nu, avec son ventre en citrouille, sa tête chauve et ses bras maigres, pendant comme des cordages. Et vaguement aussi, il se représentait telles qu’elles devaient être les épaules de Sophie Vassilievna, maintenant recouvertes de soie et de velours ; mais cette image était trop hideuse, et il la repoussa.

Sophie Vassilievna le regarda.

— Mais j’oublie que Missy vous attend — dit-elle. — Allez la rejoindre ; elle a l’intention de vous jouer le nouveau morceau de Grieg ; c’est très intéressant.