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ouvriers, les employés s’arrêtaient, examinant, avec curiosité, la prisonnière ; quelques-uns secouaient la tête et pensaient : « Voilà où mène une mauvaise conduite, qui, heureusement, ne ressemble pas à la nôtre ». Les enfants regardaient, avec effroi, cette criminelle, rassurés toutefois par la vue des soldats et par la pensée qu’elle ne pouvait plus maintenant faire de mal. Un paysan qui, après avoir vendu du charbon, venait de boire du thé à l’auberge, s’approcha d’elle, se signa et lui remit un kopek. La jeune femme rougit, baissa la tête et murmura quelques paroles.

Elle sentait les regards fixés sur elle et observait, sans tourner la tête, ceux qui la dévisageaient au passage, amusée de se voir l’objet de tant d’attention. Elle jouissait aussi de l’air pur du printemps, surtout après celui de la prison ; mais, déshabituée de la marche, elle peinait, avec ses chaussures de détenue, sur les pierres, regardait chacun de ses pas et s’efforçait de poser les pieds le plus légèrement possible. Passant devant une boutique de farine, au seuil de laquelle marchaient en se dodelinant quelques pigeons, la prisonnière faillit mettre le pied sur l’un d’eux. Celui-ci s’envola, et, dans un battement d’aile, frôla presque l’oreille de la prisonnière qu’il éventa. Elle sourit, puis, au souvenir de sa situation, elle poussa un profond soupir.