Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol36.djvu/176

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

marchand, son ardent défenseur, puisqu’elle n’avait aucune raison de tuer. Mais le chef du jury répondit à cela qu’il était impossible de l’innocenter, puisqu’elle-même avouait avoir versé la poudre.

— Elle l’a versée, c’est vrai, mais croyant que c’était de l’opium, — objecta le marchand.

— L’opium peut aussi causer la mort, — interrompit le colonel qui aimait les digressions, et, à ce propos, il se mit à narrer l’aventure de la femme de son beau-frère qui avait absorbé de l’opium et en serait morte si un médecin ne s’était trouvé là à temps. Le colonel parlait avec tant de dignité et d’assurance que personne n’osait l’interrompre. Seul, le commis, gagné par l’exemple, s’enhardit à placer son mot.

— On peut fort bien s’habituer au poison, dit-il, et en absorber sans danger jusqu’à quarante gouttes. Un de mes parents…

Mais le colonel n’était pas homme à se laisser interrompre ; il continua son récit, et tout le monde dut connaître en détail le rôle joué par l’opium dans l’existence de la femme de son beau-frère.

— Mais, messieurs, il est déjà plus de quatre heures, — observa l’un des jurés.

— Eh bien, messieurs, — demanda le chef du jury : — nous la reconnaissons coupable sans intention de voler. Cela va-t il ainsi ?