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crie, recule, tente de fuir aussi loin que possible pour échapper aux conséquences de son acte et les oublier, mais son maître implacable ne le lâche point. Nekhludov sentait de même toute la bassesse qu’il avait commise, et aussi la main puissante du maître ; mais il ne comprenait pas encore toute la gravité de son acte, pas plus qu’il ne reconnaissait le maître. Il voulait toujours ne pas croire que l’œuvre qui était devant lui était la sienne, mais la main invisible, implacable le maintenait, et il pressentait ne pouvoir s’en échapper. Il s’efforcait de paraître à l’aise, croisait d’un air dégagé ses jambes l’une sur l’autre, jouait négligemment avec son pince-nez, et, avec abandon et naturel, se tenait assis sur le deuxième siège du premier rang. Et cependant, au fond de son âme, il se rendait déjà compte de toute la cruauté, de l’ignominie et de la bassesse non seulement de son acte, mais de toute sa vie oisive, débauchée, cruelle, licencieuse ; et le terrible rideau tiré par miracle pendant ces douze dernières années entre son crime et toute sa vie, déjà commençait à s’agiter, lui permettant, par instants, de jeter derrière un regard.