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de principes et même de religion. Euphémie était sa maîtresse et une victime de l’hérédité. On remarquait en elle tous les stigmates de la dégénérescence. Mais le ressort principal du crime était Maslova, qui personnifiait le phénomène de la décadence la plus profonde. Cette femme, — poursuivait le substitut sans la regarder, — a reçu de l’instruction ; nous avons entendu tout à l’heure la déposition de sa patronne. Non seulement elle sait lire et écrire, mais connaît le français ; orpheline, portant, sans doute, en elle le germe du crime, élevée dans une famille noble et instruite, elle eût pu vivre d’un travail honorable ; mais elle a abandonné ses bienfaiteurs pour se livrer à ses passions ; et, pour les mieux satisfaire, elle est entrée dans une maison de tolérance, où elle se distinguait de ses compagnes grâce à son instruction, et surtout, comme vous venez de l’entendre affirmer, messieurs les jurés, par la bouche de sa patronne elle-même, grâce à son pouvoir mystérieux sur les clients, pouvoir étudié en ces derniers temps par la science, par l’école de Charcot surtout, et connu sous le nom de suggestion. Et ce pouvoir, elle l’a exercé sur le géant russe, l’honnête et naïf Sadko[1] ; elle a abusé de sa confiance pour le dépouiller de son argent d’abord, et, ensuite, sans pitié, de la vie.

  1. Héros des bylines russes.