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mations, comme torturé par une douleur physique au souvenir de cette scène.

Mais que faire ? C’est toujours ainsi. C’était ainsi qu’avait agi Schenbok à l’égard de l’institutrice dont il lui avait conté l’histoire ; de même son oncle Gricha ; de même son propre père, quand il avait eu d’une paysanne de ses terres ce fils naturel, Mitenka, qui vivait encore. Et, puisque tout le monde agit ainsi, c’était donc ainsi qu’il devait agir.

Il essayait ainsi de se rassurer sans toutefois y parvenir complètement. Ses souvenirs brûlaient sa conscience.

Dans le tréfonds de son âme il jugeait son action si laide, si basse, si cruelle, que non seulement il avait perdu le droit de juger les autres, mais même de les regarder en face, et cependant il était forcé de se considérer soi-même comme un jeune homme rempli de noblesse, d’honneur et de générosité. À ce prix seulement il pouvait continuer à vivre gaiement et joyeusement comme il le faisait. Il n’avait pour cela qu’un seul moyen : ne plus penser à cela. C’est ce qu’il fit.

La vie où il entrait, — le milieu nouveau, les camarades, la guerre, — aida à cet oubli. Et plus il vivait plus il oubliait ; si bien qu’il avait totalement oublié.

Une fois seulement, à son retour de la guerre, s’étant arrêté chez ses tantes dans l’espoir d’y