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de répugnance pour soi-même. Alors il eût dû croire en lui-même ; mais il ne comprit pas que cette honte et cette répugnance étaient le jaillissement de ce qu’il y avait de meilleur en son âme, au contraire il lui sembla que sa sottise seule parlait en lui et qu’il était de son devoir de faire comme tout le monde.

Il la poursuivit de nouveau, la reprit par la taille et l’embrassa dans le cou. Ce baiser ne ressemblait point à ceux donnés deux fois déjà : le premier, inconscient, derrière le massif de lilas, puis ceux du matin, à l’église. Celui-ci était terrible, et elle le sentit.

— Que faites-vous donc ? s’écria-t-elle.

À sa voix, il semblait qu’il eût détruit quelque chose d’infiniment précieux, et elle s’enfuit à toutes jambes.

Il gagna la salle à manger. Ses tantes, en grande toilette, le médecin et une voisine en étaient aux hors-d’œuvre. Tout se passait comme à l’ordinaire, mais dans l’âme de Nekhludov grondait la tempête. Il ne comprenait rien à ce qu’on lui disait, répondait de travers et ne pensait qu’à Katucha, à son dernier baiser, quand il l’avait saisie dans le corridor. Il ne pouvait plus penser à rien d’autre. Quand elle entra dans la salle, il ne leva pas les yeux sur elle, mais tout son être sentait sa présence, et il devait faire un effort sur soi pour ne pas la regarder.