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de n’y point penser, il savait aussi en quoi consistait cet amour et ce qu’il en pouvait résulter.

En Nekhludov, comme en tous les humains, il y avait deux hommes : l’un — l’homme moral, cherchant son bien dans le bien des autres ; l’autre — l’homme animal, cherchant seulement son bien personnel, et prêt, pour ce bien, à sacrifier celui de tous les êtres au monde. Et dans cette période de folie égoïste, provoquée chez lui par la vie de Pétersbourg et par la vie militaire, l’homme animal dominait en lui et étouffait complètement l’homme moral. Cependant, quand il eut revu Katucha et que ses sentiments anciens à son égard se furent réveillés, l’homme moral redressa la tête et réclama ses droits. Ce fut la cause d’une lutte inconsciente mais ininterrompue qui se livra en Nekhludov durant les deux journées qui précédaient Pâques.

Au fond de son âme il savait que son devoir était de partir, qu’il ne devait pas rester davantage chez ses tantes, et qu’il n’en pourrait résulter rien de bon ; mais il se sentait si bien, si joyeux, qu’il ne se l’avouait pas et restait.

Le samedi soir, veille de Pâques, le prêtre, accompagné du diacre et du sacristain, vint pour célébrer l’office ; ils racontèrent toutes les peines qu’ils avaient eues à franchir en traîneau les mares formées par le dégel, dans le parcours des