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les autres, il n’y avait rien à décider, tout se trouvant décidé d’avance contre son moi moral, à l’avantage de son moi animal. En outre, sa croyance en soi l’exposait sans cesse à la désapprobation des hommes ; au contraire, en croyant dans les autres, il recevait l’approbation de ceux qui l’entouraient.

Ainsi, quand Nekhludov pensait, lisait, parlait de Dieu, de la vérité, de la richesse, de la misère, tous ceux qui l’entouraient le jugeaient déraisonnable, souvent ridicule, et, avec une bienveillante ironie, sa mère, sa tante, l’appelaient notre cher philosophe ; quand il lisait des romans, racontait des histoires scabreuses, fréquentait le Théâtre Français et racontait joyeusement les farces qui s’y jouaient, chacun le louait, l’approuvait. Se croyait-il tenu de limiter ses besoins, et portait-il un manteau défraîchi, ou s’abstenait-il de boire du vin, tout le monde le traitait d’original, agissant par vanité et désir de se singulariser ; mais, dépensait-il beaucoup d’argent soit pour la chasse, soit pour aménager luxueusement un cabinet de travail, chacun louait son bon goût et lui donnait des objets de prix. Était-il chaste et exprimait-il le désir de le rester jusqu’à son mariage, sa famille entière tremblait pour sa santé ; et loin de s’attrister, sa mère s’était réjouie en apprenant qu’il était vraiment un homme et venait d’enlever à l’un de ses camarades certaine dame française. Mais elle ne pouvait songer sans terreur à ce qui aurait pu