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tait encore pire. Nous avons tenu conseil avec Anochenko, c’était un vieil artificier. Quoi, en effet, il ne restera pas vivant et il nous supplie au nom de Dieu, laissons-le donc ici. Et nous en avons décidé ainsi. À cet endroit croissait un arbre aux branches nombreuses. Nous avons pris des biscuits trempés, Jdanov en avait, nous les lui avons laissés. Nous l’appuyâmes contre l’arbre, lui mîmes une chemise propre, et lui ayant fait nos adieux comme il faut, nous le laissâmes là.

— Et c’était un bon soldat ?

— Pas mauvais, — remarqua Jdanov.

— Et que lui est-il arrivé ? Dieu seul le sait, — continua Antonov. Beaucoup de nos frères sont restés là-bas.

— À Darghui ? — demanda le fantassin en se levant et secouant sa pipe. — Puis de nouveau il ferma les yeux et hocha la tête : — Il y avait de tout là-bas !

Et il s’éloigna de nous.

— Eh quoi ? Chez-nous, dans la batterie, y a-t-il beaucoup de soldats qui étaient à Darghui ? — demandai-je.

— Voilà. Il y a Jdanov, moi, Patzan qui est maintenant en congé et encore six autres, pas plus.

— Et notre Patzan ! il s’amuse bien en congé ? — dit Tchikine. Et abaissant ses jambes et appuyant sa tête sur une bûche : — Je crois qu’il y a bientôt une année qu’il est absent.